La faute à 3pts d'avance : le retour du débat

Dec 11, 2023 - 13:22
Mar 25, 2024 - 18:54
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La faute à 3pts d'avance : le retour du débat
crédits photo : Getty images

              Faut-il faire faute sur l’adversaire alors que l’on mène de 3pts et que l’on joue la dernière possession ? Voilà un débat que nous pensions reglé depuis belle lurette, mais que les dernières semaines d’EuroLeague ont remis au goût du jour. Car nos coachs préférés, ces temps-ci, ont tous eu cette même fâcheuse tendance de se priver de leurs fautes. Comment expliquer cette nouvelle mode ? Pourquoi les défenses restent-elles passives dans ces dernières secondes ? EuroLeague France s’est penché sur le question qui visiblement se pose à nouveau. Étude complète.

 

FAUTE OU PAS FAUTE ?

 

On est en toute fin de match. La tension est à son comble. L’adversaire a le dernier ballon mais après un money-time brûlant votre équipe est parvenue à prendre un avantage confortable de 3pts. Rien n’est joué mais cette avance vous met sur la bonne voie pour l’emporter. Un temps-mort a été demandé, vous êtes coach, que dîtes-vous à vos joueurs ? Faute ou pas faute ?

 

A priori, et c’est comme ça depuis un bon bout de temps, la question ne se pose pas vraiment et faire la faute apparait comme une évidence. Notre cher David Cozette le dit si bien : ‘’deux c’est moins grand que trois, c’est des mathématiques’’. Offrir deux lancers-francs à l’adversaire alors qu’ils ont 3 points à mettre, c’est donc la solution parfaite pour être sûr de ne pas être rejoint au score. Une simple faute vous assure donc d’être encore en tête à la fin de la séquence, c’est aussi simple que cela. Et au-delà de cette évidence, on imagine bien tout le désarroi du shooteur d’en face, lui qui s’était finement préparé à vous rentrer la ficelle de l’année mais qui se retrouve bien bête avec ses deux lancers à mettre, se demandant bien comment il va pouvoir égaliser maintenant. C’est comme ça, l’Europe est connue pour son basket qui utilise intelligemment ses fautes, ça ne changera pas de sitôt. La question est donc vite répondue comme dirait l’autre, fini on en parle plus. Et bien si, parlons-en ! Car depuis quelques semaines, la compétition reine du vieux continent s’est chargée de déterrer la question avec un nombre incalculable de situations où l’équipe défensive a préféré rester les bras croisés. Grave faute de coaching ou vraie tendance pour les entraîneurs d’EuroLeague ? Nous nous sommes penchés sur l’affaire.

 

 

QUE NOUS DISENT LES MATCHS ?

 

Regardons un peu plus dans le détail… Pour vous, EuroLeague France s’est retapé l’intégralité des 117 matchs qui ont été disputé pour l’instant dans cette campagne 2023-2024 (bah oui, ‘faut dire, on n'a rien à faire de nos journées nous). Après des jours et des jours d’étude, nous avons ainsi répertorié 14 cas de figure cette saison au moment où j’écris cet article. Dans le cas d’une avance de 3pts, avec moins d'une possession à jouer, et le dernier ballon dans les mains de l'adversaire : quelle consigne un coach d’EuroLeague donne donc à ses joueurs sur le temps-mort qui précède ? Le constat est sans appel : deux fois seulement la faute a été commise. 2 fois sur 14 ! Tout simplement hallucinant vu l’évidence que l’on vient de rappeler un peu plus haut. A titre de comparaison, sur la saison dernière, on peut recenser 16 situations du genre (oui parce qu’on s’est aussi retapé les matchs de l’année dernière tant qu’à faire). Résultat : 10 fois sur 16 la faute a été commise, sachant que sur les 6 situations où ce ne fut pas le cas, bien souvent l’équipe menant de 3pts n’a en réalité pas vraiment eu le temps de la commettre. Cette récente tendance de ne pas faire la faute est donc flagrante. Mais voyons donc comment cela s’est terminé lorsque, cette saison, on a choisi de la commettre :

 

La première fois, c’était lors du classico de la 5ème journée. Le Real disposait de cette avance et avait décidé de faire faute sur Satoransky. Ce dernier fut bien malheureux dans l’exercice et les Madrilènes avaient par la suite géré le jeu des lancers-francs pour s’imposer. La seconde fois, c’était le Partizan Belgrade, face au Fenerbahçe pour la 7ème journée. Alors que les Serbes menaient de 3pts et que le Fener avait le dernier ballon, Wilbekin avait été immédiatement envoyé sur la ligne des lancers-francs.  Le 2/2 de l’arrière resta donc impuissant, le Partizan parvint à préserver son avance et sa victoire. Les matchs parlent d’eux-mêmes : faire la faute a donc toujours permis de sauvegarder son avantage jusqu’ici.

 

Maintenant analysons de plus près ces fameux 12 cas où l'on a décidé de laisser l'adversaire faire …

 

Les fois où la faute n’a pas été commise cette saison en EuroLeague, dans le cas d’une avance de 3 points,  moins d’une possession à jouer sur l’horloge, balle à l’adversaire, sortie de temps-mort :

(notice de lecture : équipe qui a les 3pts d’avance vs équipe qui a les 3pts de retard)

 

- J4/ Olympiacos vs Partizan : Nunnally parvient à inscrire le shoot à 3pts pour arracher la prolongation ; l’Olympiacos parvient quand-même à s’imposer après la période supplémentaire.

- J5/ ALBA Berlin vs Milan : Thiemann semble vouloir faire la faute sur Mirotic mais n’en a pas l’occasion. Mirotic rate sa tentative à 3pts, l’ALBA s’impose.

- J5/ Virtus Bologne vs ASVEL : la Virtus n’a pas vraiment le temps de faire la faute, Scott rate sa tentative à 3pts, la Virtus s’impose.

- J8/ Panathinaïkos vs Zalgiris Kaunas : Brandy Manek rentre son tir à 3, mais Kostas Sloukas sauve le Pana de la catastrophe juste derrière.

- J8/ ASVEL vs ALBA Berlin : Sterling Brown rate à 3pts, l’ASVEL l’emporte donc.

- J10/ ASVEL vs Bayern Munich : Nick Weiler-Babb (1st OT) puis Sylvain Francisco (2nd OT) rentrent leur shoot à 3pts, l’ASVEL s’incline.

- J10/ Monaco vs Baskonia : Markus Howard ne tremble pas derrière l’arc, mais Blossomgame offre finalement la victoire à Monaco juste après sur l’ultime ballon.

- J11/ Real Madrid vs Fenerbahçe : Scottie Wilbekin réalise le miracle derrière la ligne, prolongation obtenue ; par la suite, le Real s’incline pour la première fois de la saison.

- J12/ Milan vs Bayern : Serge Ibaka joue les sauveurs avec une flèche à 3pts, prolongation. Derrière le Bayern s’offre la victoire.

- J12/ Partizan vs Monaco : Mike James fait du Mike James, prolongation arrachée ; mais le Partizan l’emporte à l’issue des 5 minutes supplémentaires.

- J12/ Maccabi vs ASVEL : Wade Baldwin décide de défendre Nando, il le contre ; Maccabi victorieux.

- J13/ Baskonia vs Etoile Rouge : Giedratis n’est pas arrêté et rentre son tir pour égaliser ; heureusement Baskonia obtient une faute ensuite pour reprendre définitivement l’avantage.

 

BILAN => 8 fois sur 12 l'adversaire, porté par l'adrénaline ou par son clutch-guy de service, est ainsi parvenu à égaliser en inscrivant le tir à 3pts qu'il fallait mettre, laissant les fans stupéfaits et les commentateurs consternés. 8 sur 12 ! 67% ! à 3pts ! Incroyable. Voilà des pourcentages bien au-delà de la norme à cette distance. Comme vous pouvez le voir, le karma s’est donc chargé pour le moment de bien faire regretter aux coachs leur décision. Pour autant, cela n'a pas eu de trop lourdes conséquences dans les faits, puisque finalement les équipes en question s'en sont souvent sorti par un ultime panier juste après, à l'image de la claquette de Blossomgame à Vitoria. Toujours est-il que 3 équipes ont payé le prix de leur erreur tactique en s'inclinant finalement malgé cet avantage initial de 3pts : le Real, embarqué dans la prolongation fatale par Wilbekin ; l’Olimpia Milano qui s’est lui aussi incliné après une prolongation arrachée par Serge Ibaka ; enfin, l'ASVEL, dont cette situation s'est même répété deux fois contre le Bayern, alors qu'une simple faute aurait ce soir-là comblé les 11 500 spectateurs de la LDLC Arena. (La plaie est encore béante ptn). Ettore Messina, victime de cet oubli contre le Bayern Munich de Sergie Ibaka, a d’ailleurs reconnu cette erreur une fois le match fini :

 

‘’Il n’y a pas eu de malentendu, il fallait commettre une faute. J’ai demandé un temps mort, il y avait des instructions précises, nous ne l’avons pas fait. C’est notre erreur.’’

(Ettore Messina, en conférence de presse)

 

              Et en effet, alors que son Olimpia menait de 3pts avec un dernier stop à faire, Ettore Messina avait bien pu demandé un temps-mort avant cette dernière possession bavaroise. Nous ne savons pas ce qui a été dit lors de ce temps-mort côté milanais. Toujours est-il que la faute n’a pas été commise, et que Milan est reparti ce soir-là avec la défaite.

 

TENTATIVE D’EXPLICATION

 

Alors c'est sûr, a posteriori, le bilan est sans appel et la bonne décision apparaît comme une évidence : il aurait mieux valu faire la faute. Mais tentons de comprendre ce qu'il peut se passer dans la tête de l'entraîneur à ce moment là ; qu'est-ce qui pousse ces gens à interdire la faute aux joueurs ? Car "ces gens’’, c'est quand-même Zeljko Obradovic, c'est Chus Mateo, c'est Bartzokas, c’est Ataman, Banchi, Messina mais aussi nos deux coachs nationaux Sasa Obradovic et Gianmarco Pozzecco : bref, que des entraîneurs chevronnés sur le circuit européen, pour certains mêmes des légendes. Mais alors, si ces hommes qui connaissent tout de notre sport exhortent leurs troupes à ne pas faire faute, c'est qu'il doit bien y avoir une raison. Tentons aujourd’hui de trouver ces raisons et perçons le mystère. Faisons-nous l'avocat du diable.

 

- Pas le temps !

 

              Le premier facteur explicatif de l’absence de faute est évidemment le fait de ne pas en avoir l’opportunité. En effet, bien qu’ayant la ferme volonté de sabrer son adversaire dès qu’il a le ballon, certaines équipes n’ont tout simplement pas le temps de commettre cette faute salvatrice. C’est sûr que s’il reste 5 secondes ou moins sur l’horloge, on est à peu près sûr que l’adversaire va shooter tout de suite. Mieux vaut donc s’abstenir au risque de donner non pas deux mais trois lancers-francs à l’adversaire. Il en est de même si le shooteur adverse se met directement en position de tir. Cependant, ce cas de figure ne représente que 2 des situations présentées ci-dessus. Il reste donc 10 money-times où l’équipe menant par 3 points d’avance avait réellement pour stratégie de ne pas commettre la faute. Il s’agit donc d’autre chose.

 

- Place à la défense

 

La première chose à faire est de directement demander des explications aux principaux responsables. Après la folle inauguration de la LDLC Arena, Mr Pozzecco avait ainsi répondu en ces termes à la fâcheuse question :

 

"C'était ma stratégie, j'avais décidé de ne pas faire faute, comme nous l'avions fait à Berlin et nous avions réussi une superbe défense. C'était ma décision. J'ai consulté les joueurs mais à la fin j'ai décidé." (Via l'Équipe)         

 

L'autre raison qui pousserait à ne pas faire faute serait donc : compter sur une grosse défense de ses hommes et un tir compliqué raté par l’adversaire.

-> ce choix s’est montré payant 4 fois sur les 12 cas d’absense de faute cette saison. Ça a marché pour l’ASVEL face à l’ALBA. En effet, la grosse défense de Lighty sur Brown ce soir-là avait scellé le succès des Villeurbannais. Un peu avant, ces mêmes Berlinois avaient vu le tir casse-croute de Mirotic fuir le cercle. La Virtus elle, avait vu Mike Scott échouer pour valider sa victoire à l’Astroballe. De même, Baldwin avait sauvegarder l’avantage du Maccabi par un contre clinique sur De Colo. Bref, ça peut marcher, mais ça peut aussi ne pas marcher. Car comme nous le montre les 8 autres cas, la stratégie est douteuse. Car c’est souvent dans ces moments-là, alors qu’il n’y a plus grand-chose à perdre, que les assassins se révèlent. Relâchés, dans un dernier élan d’espoir, les grands joueurs ne demandent qu’une seule chose : qu’on leur laisse cette chance. Il serait donc préférable de ne pas la leur donner quand on est défenseur dans le camp d’en face, en témoigne ce chiffre de 67% de réussite que l’on a mentionné plus haut. En tout cas, ce ne sont pas Mike James, Markus Howard, Sylvain Francisco, Serge Ibaka ou même Brandy Manek qui nous contrediront. Bref, comme vous pouvez le voir, ce genre de grand joueur, on pourrait en trouver dans chaque équipe, d’autant plus avec la progression globale de l’adresse à 3pts dans le basket actuel. L’argument ne paraît donc pas suffisant.

 

- La peur du jeu des lancers

 

              L’autre argument qui pourrait motiver une telle abstention, serait la crainte du jeu périlleux que peuvent représenter les lancers-francs. En effet, si vous choisissez de faire faute pour préserver votre avance, vous êtes quasiment sûrs que l’adversaire fera lui-aussi faute sur vous pour arrêter le chrono une fois les lancers tirés, et ce sera alors à vous d’assurer sur la ligne. S’aventurer dans un duel de lancers-francs à la fin de match peut donc se présenter dangereux dans certaines configurations, car cela nécessite d’avoir pleinement confiance en ses shooteurs dans l’exercice. Par exemple, si vous menez de 3pts en fin de match dans une salle particulièrment hostile, cet élément est forcément à prendre en compte car une tremblote peut vite arriver et un match que vous tenez pourtant si bien en main risque de basculer. C’est pourquoi, certaines équipes préfèrent aujourd’hui laisser le chrono s’écouler au maximum, sans l’interrompre par quelconque faute. Sans faire de faute, il n’y a qu’une vingtaine de secondes tout au plus à tenir ; en la faisant, il y a de longues minutes de guerre mentale à traverser. La tentation de ne pas la faire est donc certaine. C’est peut-être ce qui est passé dans l’esprit de Chus Mateo le 30 novembre dernier, contre le Fenerbahçe, qui a donné l’ordre à ses hommes de ne pas faire faute.

 

‘’Ce n’est jamais facile de jouer le Fenerbahçe, surtout à Istanbul.’’ 

(Chus Mateo, via Eurohoops)

 

Les Madrilènes avaient-ils peur du public jaune et bleu ? Quand on connait la fournaise de l’Ulker Arena, on pourrait comprendre leur décision. Car lors du classico face au Barça, à Madrid, les hommes de Chus Mateo ne s’était pas posé la question et avait spontanément fait la faute sur les Catalans pour préserver leur matelas de 3pts. Après de longs échanges de lancers-francs, les coéquipiers de Facundo Campazzo avaient assuré et empochaient leur victoire sans trembler, sans que le lead ne change de camp. Mais face au Fener, en Turquie, c’est sûr qu’un tel jeu mental n’est pas aussi facile à négocier. Peut-être est-ce là la raison qui a poussé cette fois-ci Chus Mateo à choisir l’autre option, à laisser le chrono s’écouler en espérant l’échec du tir adverse. La fin de l’histoire leur donne cependant tort.

 

- Une nouvelle mencace : la vidéo

 

              Enfin, un dernier argument refait plus que jamais surface aujourd’hui : la menace de la vidéo. En effet, le basket évolue avec son temps et les nouvelles technologies sont désormais bien intégrées dans le quotidien des arbitres. Ainsi, on peut toujours demander à ses joueurs de faire faute pour assurer son avance, mais pour peu que le joueur qui s’y colle soit un peu maladroit dans son geste, les arbitres peuvent à tout moment demander à revoir l’action et ainsi augmenter la peine. Preuves à l’appui, rien n’empêche les juges de considérer comme une faute anti-sportive ce qui était une simple faute dans votre plan. Dans ce cas, l’adversaire dispose certes de 2 lancers-francs, comme c’était prévu, mais également d’un dernier ballon histoire de vous achever. Vous meniez tranquillement de 3pts et vous vous retrouvez ainsi sous la menace d’un shoot pour une faute non maîtrisée. Et oui, un ralenti a vite fait d’exagérer la réalité et d’ailleurs, hors money-time, il n’est pas rare de voir des fautes communes être augmentées de la sorte en faute anti-sportive après l’intervention de la vidéo. Faire faute alors qu’on mène de 3pts lors de la dernière action, c’est donc encourir le risque d’une révision vidéo qui vous condamne. Nul doute que les entraîneurs ont bien ça à l’esprit aujourd’hui et interdisent de faire faute de peur qu’une ultime possession soit donnée à l’adversaire. Après tout, si vous ne faîtes aucune faute, vous vous retrouveriez dans le pire des cas en prolongation. Si vous prenez anti-sportive, l’issue pourrait alors devenir tragique pour vous…

 

 

              Et vous ? Vous faîtes encore la faute quand vous menez de 3 points ? L’émergence de la vidéo et les anti-sportives qui volent à tout va vous font-elles changer d’avis ? En attendant, les choix des entraîneurs d’EuroLeague n’ont pas fini de faire couler de l’encre et ce débat, que l’on a longtemps cru enterré, a visiblement encore de beaux jours devant lui.

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